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29 septembre 2013

Almaz Nezirović

 

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Ne jamais oublier que ce soit les Serbes, les Croates ou les Bosniaques musulmans, chacun a sa part d'horreur et de crimes durant cette sale guerre de Bosnie. Je met les 2 témoignages suivant non pas pour diaboliser les Croates de Bosnie, mais juste pour faire comprendre que chaque camp à eu son degré de monstruosités inpardonnables ...

 

Quinze ans après avoir refait sa vie aux États-Unis, Almaz Nezirović a fini par être rattrapé par son passé de criminel de guerre. Il croupit depuis juillet 2012 dans un pénitencier de Virgnie et devrait être prochainement extradé. Au début des années 1990, il a torturé des civils serbes dans un camp du HVO. Le Courrier des Balkans a rencontré deux de ses victimes, qui racontent l’horreur.

Un juge américain a approuvé lundi 16 septembre 2013 l’extradition en Bosnie-Herzégovine d’Almaz Nezirović, 54 ans, détenu depuis juillet 2012 au pénitencier de Roanoke en Virginie et accusé d’avoir torturé des civils serbes au camp de prisonniers de Rabić en 1992, lors de la guerre de Bosnie.

Le juge Robert Ballou a déclaré avoir assez de preuves pour que l’ancien tortionnaire soit extradé. La décision finale reviendra toutefois au Secrétaire d’État John Kerry.

Almaz Nezirović avait émigré aux États-Unis il y a 15 ans. Le Courrier des Balkans a rencontré deux de ses victimes, Drago Knežević et Mile Kuzmanović, à Derventa et dans le village de Čardak, en Republika Srpska.

Au recensement de 1991, la municipalité de Derventa comptait 40 % de Serbes, 38 % de Croates et 12 % de Musulmans sur une population d’environ 55.000 habitants. Aujourd’hui, elle compte 80 % de Serbes sur une population de 25.000 habitants.

« Vers le mois de février 1992, les choses ont commencé à mal tourner », explique Čedo Vujičić, journaliste à Derventski List. « Les premières milices croates se sont mises à parader en uniforme dans les villages et à dresser des barrages routiers. Des violences épisodiques ont eu lieu. Le 3 et le 4 avril, la 108e brigade de Derventa de l’armée croate a massacré les villageois de Kostreš. Le 7 avril, dans le village mixte de Kuljenovci, deux soldats serbes de la JNA sont tombés dans une embuscade alors qu’ils étaient de patrouille… »

Cinq jours plus tard, les chars croates passaient le pont de Derventa.

Drago Knežević : « Une descente aux Enfers »

« Voilà, ça, c’était un charnier… Il y avait dix-neuf corps… C’était envahi de verdure… La guerre nous avait enserrés. Le cercle se rétrécissait. Ce 25 avril 1992, des soldats de l’ONU ont ouvert un corridor pour nous évacuer à condition que nous rendions les armes. Nous n’avions pas confiance… Nous sommes restés.

Le lendemain, dimanche de Pâques, Čardak tombait sous les bombardements. À l’aube, les unités de nettoyage du HVO (Conseil de défense croate, NDR.) ont fait leur entrée. Des villageois sont parvenus à fuir en traversant la rivière. Un voisin a préféré dégoupiller une grenade et se faire exploser. Les corps ont été entassés dans un camion. Le camion n’a pas bougé et, au bout de quelques jours, les morts ont commencé à se putréfier. Moi, je m’étais terré dans une cave…

J’ai été capturé le 5 mai. Avant la guerre, je pratiquais la savate. Eh bien, ce jour-là, j’ai vu un jeune que j’avais aidé, à deux pas ! J’étais son ancien sponsor, j’ai appelé au secours… “C’est qui”, il a demandé… “Drago Knežević…” “Police”, il a crié ! Il avait tourné casaque… Le voilà qui descend dans mon trou, flanqué de ses acolytes armés jusqu’aux dents. J’étais fait comme un rat ! Ils m’ont lié les mains derrière le dos et transporté en voiture à la Maison de l’Armée de Derventa. C’était la première fois que je voyais des Oustachis...

La Maison de l’Armée… C’est où Azra Bašić a égorgé Blagoje Đuraš, mon ancien comptable… Un brave type. “Tu peux me tuer ! Mais n’oublie pas qu’un jour, le soleil cessera aussi de briller pour toi…” Ce furent, paraît-il, ses derniers mots. Après, Azra a forcé des prisonniers à lécher le sang…

La descente aux Enfers ! Mais la Maison de l’Armée, ce n’était qu’une première étape, avant Rabić. Imaginez un entrepôt militaire dans les bois. Environ 180 prisonniers, pas d’éclairage. Des soldats allaient et venaient, gueulaient des ordres. Nous, on dormait à la dure, sur le béton. On bouffait dans des gobelets en plastique. On chiait devant tout le monde. L’odeur était infecte et ça grouillait de poux. Dans ce cloaque immonde, les soldats nous aspergeaient au DTT.

Tenez, Almaz le gitan... Au milieu de ce hangar sordide, il avait installé une grande table devant laquelle les prisonniers faisaient la queue. Il leur coupait les doigts, chacun son tour. Ah ! ils en poussaient des hurlements, les prisonniers ! Le sang coulait à flots, plein les ruisseaux…

Il y a 120 façons de torturer un homme. Après Rabić, je suis allé à Poljari. Une petite école primaire perdue au milieu des champs. Sur la cour de récréation planait le silence, un silence de mort, oui ! La journée, on travaillait en plein air. On creusait des tranchées, on crevait de faim et de fièvre ! Le travail par la joie, qu’ils disaient. Mais une nuit, quinze d’entre nous ne sont pas rentrés. Et là, ça s’est gâté.

Le 26 juin, un échange a été conclu. Cinq hommes ont été désignés. J’étais du nombre ! Enfin, le bout du tunnel, que je me suis dit ! J’aurais dû me méfier ! Nous sommes partis dans un fourgon à Slavonski Brod… Ah ! tu parles d’un échange ! Cette fois, ça se passait dans une maison… Quinze jours que ça a duré (Drago Knežević évoque des fellations contraintes entre prisonniers, NDLR.). Quinze jours avant de voir la lumière…

J’avais trois côtes cassées, du sang dans les poumons et je partais en lambeaux. Mais j’étais libre ! Quelques semaines plus tôt, l’armée de la République serbe de Bosnie était passée à l’offensive. L’opération Koridor, ça s’appelait. Eh bien, elle a fait pareil que les Croates, l’armée serbe… Exactement pareil ! »

Mile Kuzmanović : « La nuit tout au fond de soi »

« Ça, c’est la rue Vukovar… Tout a été incendié, détruit, reconstruit… Au moins une famille sur deux a perdu un proche.

Tenez, regardez mes orteils ! Et mes doigts (il montre des cicatrices profondes, NDLR.). Et ma tête, vous l’avez vue ? J’ai l’oreille coupée, le nez cassé et 27 blessures dans le crâne ! Ils m’ont charcuté au couteau Et ils y ont mis du sel. J’ai le corps rempli de sel ! Enfin, le sel, ça conserve, hein ! Vous voulez que je vous parle d’Almaz, notre bourreau local ? C’est lui qui m’a torturé. C’était un Rrom, c’est-à-dire, dans notre société, un bitanga, un moins que rien. Comme Azra, c’était un musulman. Et comme elle, un volontaire. Quand il te torturait, tu te pissais dessus tellement tu avais mal. Lui, son truc, c’était de te couper les doigts ! Trois doigts de la main droite. Le pouce, l’index et le majeur. Tchak ! Simple comme bonjour ! Aujourd’hui, il habite en Pennsylvanie, aux États-Unis.

La convention de Genève ? Sans blague ! Le pire, ce n’est pas de tuer un homme, mais de le torturer, de l’humilier ! De lui briser les os ! La volonté, le moral ! Parce qu’après, il faut bien continuer à avancer, n’est-ce pas ? Mais quand on n’a plus le goût à la vie ? Quand on est fatigué de marcher, hein, qu’est-ce qu’on fait ? On s’arrête pile ? On regarde la nuit tomber tout au fond de soi ? Je vous le demande… Moi, je suis père de trois enfants. Alors, tout perdu que j’étais, je me suis raccroché à ma petite lanterne. Y avait pas le choix ! J’ai réappris à marcher, pas à pas, comme les autres, en faisant attention à ne pas tomber…

Quand je suis arrivé à Slavonski Brod, il y avait plein de filles à soldats ! Complètement soûles ! La radio beuglait Šote mori Šote… Elles, elles buvaient au goulot, bien débraillées, rotant et pire…

Trois mois plus tôt, l’armée croate avait pris position sur les collines. La frontière est à 9 kilomètres. Jusqu’alors, nous, à Čardak, on s’occupait comme si de rien n’était, ou presque. Mais le 25 avril 1992, on a entendu que le père, la mère et le fils Lazarević avaient été égorgés… Ainsi que les Živković et cinq autres personnes. Pas un coup n’avait été tiré… Cette nuit-là, on n’a pas dormi. On s’est cachés dans les caves. Serbes, Croates et Musulmans, tous ensemble ! L’artillerie a ouvert le feu. Au petit matin, les unités de nettoyage du HVO sont arrivées. Les soldats étaient en tenue de combat, un bandana avec la lettre U sur le front. Parmi eux, il y avait des femmes, le crâne rasé sur les côtés. Des villageois ont été exécutés sur le seuil de leur maison...

Les cadavres ont été jetés dans un camion. La télé les a filmés, soi-disant comme des victimes croates. J’ai été fait prisonnier... Un soldat m’a fait les poches. 23.000 marks ! Un joli banco. Direct dans sa poche à lui !

On est arrivés à la Maison de l’Armée à Derventa. Le spectacle pouvait commencer ! Mais quel spectacle ! On est descendus au sous-sol dans une petite pièce carrelée. C’était les vestiaires. Là, serrés comme des larves, on s’est retrouvés tout nus à ramper sur des débris de miroirs, lécher du sang, bouffer des billets de banques yougoslaves, être battus avec tout et n’importe quoi. Azra est entrée. Elle puait la sueur, ses bottes étaient maculées de boue et de sang... “Je reviens de Čardak”, elle a dit.

Déjà, elle s’apprêtait à me couper les testicules... Mais chut ! Quand j’ai dit ça à une journaliste de Belgrade, je suis devenu la risée du village ! J’ai reçu des coups de fil anonymes… Des femmes. Elles riaient : “Et ton grand sauciflard, Mile, tu l’as encore”, qu’elles demandaient… »

 

article Le Courrier des Balkans vendredi 27 septembre 2013

 

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