Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ma Yougoslavie
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 18 494
Archives
3 avril 2013

Les réfugiés Serbes de Croatie

Map_of_Republika_Srpska_Krajina Carte de la Croatie, la Krajina ou vivaient les populations Serbes de Croatie en rouge.

 

Arrivés en Serbie pendant la guerre, entre 1991 et 1995, les réfugiés de Croatie y ont refait leur vie, bon gré mal gré. Selon les chiffres du HCR, ils sont encore 49.000, auxquels il faut ajouter 250.000 naturalisations et 23.000 départs à l’étranger. S’ils se souviennent avec émotion de leur ancienne vie, plus question pour eux d’imaginer un jour rentrer en Croatie. Portrait d’une communauté qui a perdu ses illusions.

Dans l’un des immeubles délabrés du centre de Belgrade, un homme se lève, la soixantaine, et allume un ordinateur. En fond d’écran, une maison en campagne. « Chaque matin, quand j’arrive ici et je regarde l’écran, je suis de retour chez moi », explique Čedomir Marić, le regard nostalgique.

Professeur de lycée à la retraite, il a dû laisser sa maison à Golubić, près de Knin. Maintenant, il gère une association, Suza, qui s’occupe des familles de disparus de Krajina. Durant l’opération Tempête, il a dû fuir avec son épouse et ses deux filles chez son frère à Belgrade. Mais son fils est resté à Knin. En 2003, il a été identifié et enterré dans son village natal.

Après leur arrivée à Belgrade en septembre 1995, Čedomir et son épouse ont rapidement trouvé un emploi. Aujourd’hui, c’est la Serbie qui paie sa retraite ; il n’a jamais réussi à faire valoir ses droits en Croatie.« Selon les estimations, il y a 40 000 retraités ayant travaillé en Croatie dont les pensions sont bloquées par Zagreb », explique Jelena Marić du Haut Commissariat pour les réfugiés (UNHCR).

Ce n’est toutefois qu’un des nombreux problèmes empêchant leur retour. « Peu de gens sont revenus, principalement ceux qui reçoivent leurs retraites. Les autres vivent de l’aide sociale, et c’est triste », regrette Čedomir. Lui ne veut plus retourner à Golubic à cause des hivers rudes, « surtout pour les personnes âgées ».

À Knin, il bénéficiait d’un logement social, il avait aussi construit un garage, mais il n’a pas réussi à récupérer quoi que ce soit à cause des conditions administratives impossibles à remplir : il avait un délai d’un mois pour s’inscrire et revenir, chose infaisable sans la documentation nécessaire. Voilà comment il a définitivement perdu son ancien chez lui.

« En 1997, en cherchant notre fils, mon épouse a sonné à la porte de notre ancien logement. Elle a été chassée par les nouveaux locataires », raconte-t-il. Pour lui, ce sont les autorités qui ont empêché les retours. « Cela a commencé par la conférence à Brioni avant l’opération Tempête. Les persécutions s’en sont suivies et cela s’est terminé avec le repeuplement », résume-t-il, écœuré par les acquittements récents d’Ante Gotovina et Mladen Markač.

Comme le souligne selon Jelena Marić, les plus grands obstacles au retour sont les restaurations de baux, la validation des droits à la retraite, les retraites impayées, le renouvellement des droits de propriété, la restitution de terres agricoles, le statut de résidences, les procès contre les crimes de guerre (en raison de l’existence d’accusations secrètes) et les conditions de sécurité.

Dragana Đukić n’est jamais retournée dans son village natal, Okučani, en Slavonie. « J’avais 14 ans en 1991 quand les « zenga » sont arrivés au village et nous ont forcés à partir. Nous sommes allés en Bosnie où nous avons vécu près de la frontière », explique la jeune, qui a dû fuir une deuxième fois lors de l’opération Éclair, en mai 1995. « Nous avons rejoint Bosanska Gradiška, mais mon frère, qui était en uniforme y a été tué », poursuit-elle. Il n’avait que 21 ans et laissait derrière lui une épouse enceinte. Dragana a décidé de pousser jusqu’à Belgrade où elle a suivi des études et aider à élever l’enfant de sa belle-sœur.

Elle vit toujours dans la capitale serbe avec son mari et ses deux enfants. Son frère a été enterré en Bosnie où sont finalement restés ses parents. Elle travaille dans l’association Suza où elle est en contact quotidien avec des gens qui partagent son sort.

« Je ne ressens pas le besoin d’aller à Okučani car je veux que les meilleures années de ma jeunesse restent de bons souvenirs. Tout ce qui s’est passé par la suite, je veux l’oublier », clame Dragana, qui ne peut s’empêcher de penser à la mort de son frère. « Je ne me rappelle pas de la dernière fois où j’ai ri franchement. À chaque fois que quelque chose de bien arrive, je me sens vide et je me demande comment mon frère aurait réagi. »

Selon les données du Commissariat aux personnes déplacées et aux réfugiés, on compte encore 66.000 réfugiés en Serbie dont 49.000 en provenance de Croatie. Rien que durant l’opération Tempête, 200 000 Serbes ont fui la Croatie. 250 000 personnes ont été naturalisées par Belgrade et 23.000 ont cherché asile dans un autre pays. Selon les estimations de l’UNHCR, 69.300 personnes sont retournées définitivement dans leur résidence.

« Différents programmes offerts par le Commissariat aux personnes déplacées et aux réfugiés permettent aux bénéficiaires de résoudre les problèmes de logement : la construction de logements sociaux sous conditions protégées, l’utilisation de logements subventionnés avec la possibilité de rachat, des dons de maisons préfabriquées ou de matériel pour la finir les travaux, et de nombreux programmes d’aide financière », précise Jelena Marić.

Mais la Serbie n’est pas forcément une destination choisie. « Si on pouvait, on préférerait partir dans un autre pays », assure Mirjana Grujić, originaire de Daruvar. Elle aussi a dû plier deux fois bagages. En 1991 elle se rend au village Borovac, près d’Okučani, après que son père eut été fait prisonnier et torturé. « C’était difficile et je n’arrivais pas à croire qu’une telle chose pouvait arriver », raconte-t-elle, dans son petit appartement de 35 m2.

Après l’opération Éclair, elle est partie pour Belgrade. Là, elle s’est retrouvée dans le camp de réfugiés Krnjača, dans Novi Beograd, à côté d’un camp rrom. « Nous sommes très bien ici, » jure-t-elle en montrant son logement équipé d’une petite cuisine, une salle de bains et une chambre pour mettre un lit double, rien de plus. Elle habite avec son fils de neuf ans et son mari atteint d’un cancer. Jusqu’en 2009, elle habitait en face, dans une pièce de 12 m2, partageant sa salle de bains avec 40 autres personnes. Elle s’occupe aujourd’hui de son mari, et ils vivent de sa pension d’invalidité.

Il y a encore 33 centres collectifs de réfugiés en Serbie dans lesquels vivent environ 5.000 personnes. À titre de comparaison, il y en avait 700 avec plus de 50.000 réfugiés en 1996. D’ici 2014, tous ces centres pour réfugiés devraient avoir fermé. À Krnjača, des logements ont déjà été trouvés pour une vingtaine de familles et fin avril 2013, la majorité devraient avoir été relogés.

Mirjana rêve de son nouveau logement, mais elle ne pense même pas à rentrer en Croatie. Elle rend visite à sa mère restée à Daruvar ainsi qu’à la famille de son mari à Petrinja, près de Sisak. « J’adore mon Daruvar, mais je n’y connais plus personne. Je me sens étrangère même si j’y suis restée jusqu’à l’âge de 18 ans. J’en ai passé 17 ici. Il n’y a pas de retour pour nous, surtout après la libération des généraux. » S’il n’y avait pas sa mère, elle n’irait plus jamais en Croatie, jure-t-elle. « Et je n’y vais pas souvent, je préfère payer et passer mes vacances en Grèce plutôt qu’aller en Croatie ».

 

article de presse de H-ALTRE.com traduit par Siniša Obradović

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité